La règle de Saint Benoît
Règle monastique écrite par Benoît de Nursie pour guider ses disciples dans la vie monastique communautaire, elle fut rédigée vers la deuxième moitié du VIe siècle. Elle gouverne en détail la vie monastique notamment modalités liturgiques, de travail, ou de temps de repos par exemple.
Au cours des siècles qui suivent, cette règle est progressivement adoptée par un nombre croissant de monastères en Occident ; au-delà de sa grande influence religieuse, elle a une grande importance dans la formation de la société médiévale, grâce aux idées qu'elle propose : une constitution écrite, le contrôle de l'autorité par la loi et l'élection du détenteur de cette autorité, Benoît ayant voulu que l'abbé soit choisi par les frères. Encore aujourd'hui, plusieurs milliers de moines et moniales à travers le monde s'inspirent de la règle de Saint Benoît...
Chapitre 1: Des genres de moines
Il y a quatre genres de moines, on le sait.
Le premier est celui des cénobites qui militent dans un monastère, sous une règle et un abbé.
Le second genre est celui des anachorètes ou ermites. Dans leur façon de vivre, ils n'en sont plus à la ferveur des novices, mais mais, longuement aguerris au monastère, et déormais instruçits grâce au soutien du grand nombre, ils ont appris à combattre contre le diable. Alors, bien entrînés, ils passent des rangs de leurs frères au combat singulier du désert; fermes désormais sans le secours d'autrui, ils sont en mesure, avec l'aide de Dieu, de combattre seuls, de leur propre force, les vices de la chair et des pensées.
Le troisième genre de moines est celui, tout à fait abominable, des sarabaïtes. Ils n'ont subi l'épreuve d'aucune règle, maîtresse d'expérience, comme l'or subit celle de la fournaise; mais ils sont amollis comme du plomb. Par leurs oeuvres, ils restent toujours fidèles au siècle, et mentent effrontémment à Dieu par leur tonsure. Ils vivent à deux ou trois, ou même seuls, sans pasteur, non dans les enclos du seigneur, mais dans leurs propres bergeries. Ils ont pour loi le plaisir de leurs convoitises. Ils appellent saint tout ce qu'ils pensent ou préfèrent, et ils estiment illicites tout ce qui leur déplait.
Le quatrième genre de moines est celui qu'on appelle les gyrovagues. Leur vie durant, ils vont de province en province, séjournant tous les trois ou quatre jours dans des cellules différentes, toujouors errants et jamais stables, esclaves de leurs volontés propres et des plaisirs de la gourmandise, pires en tout que les sarabaïtes. Il vaut mieux se taire que de parler de la détestable conduite de ces moines. Laissons-les donc de côté, et venons-en à légiférer pour la race très forte des cénobites.
Chapitre 2: Des qualités requises de l'abbé
L'abbé jugé digne d'être à la tête d'un monastère, doit toujours se rappeler le titre qu'on lui donne, et, par ses actes, faire droit au nom de " supérieur ",car on croit qu'il tient au monastère la place du Christ dont il porte le titre, comme dit l'Apôtre : "Vous avez reçu l'esprit d'adoption des fils, par lequel nous crions : Abba, Père".
Aussi l'abbé ne doit-il rien enseigner, établir ou ordonner qui soit contraire au commandement du seigneur. Mais ses ordres et sa doctrine répandront dans l'esprit de ses disciples le ferment de la justice divine ; l'abbé se souvenant toujours qu'il devra rendre compte au terrible jugement de Dieu de ces deux choses : sa propre doctrine et l'obéissance de ses disciples.
L'Abbé doit savoir que le Père de famille tiendra pour faute du pasteur toute déficience qu'il trouverait dans les brebis. Pareillement, si le pasteur accorde tout son soin à un troupeau turbulent et désobéissant, et applique tous les remèdes à ses maux, ce pasteur, absous au jugement de Dieu, dira au seigneur avec le Prophète : "Je n'ai pas caché ta justice dans mon cœur, j'ai dit ta vérité et ton salut, mais eux, dédaigneux m'ont méprisé". Alors, finalement, la mort même sera le châtiment de ces brebis qui n'auront pas obéi à ses prescriptions. Par conséquent, celui qui a reçu le nom d'abbé doit, par son enseignement, diriger ses disciples de deux manières, en montrant tout ce qui est bon et saint, plus par ses actes que par ses paroles. Par ses paroles, il proposera les commandements du Seigneur aux disciples capables. Par ses actes, il montrera les préceptes divins aux frères plus simples ou durs de cœurs. Autrement dit, ce qu'il aura enseigné à ses disciples être nuisible, il signifiera par ses actes qu'il ne faut pas le faire, afin que, prêchant aux autres, il ne soit pas lui-même passible de reproche, et que Dieu ne lui dise pas alors, à lui qui est en faute : "Que viens-tu réciter mes lois et qu'as-tu mon alliance à la bouche ? toi qui détestes la règle et rejettes mes paroles derrière toi, et : toi qui voyait le fétu dans l'œil de ton frère, sans voir la poutre dans le tien".
Nul ne sera distingué par lui au monastère. L'un ne sera pas plus aimé que l'autre, sinon celui qu'il trouvera meilleur par ses actes et son obéissance. L'homme né libre ne sera pas préféré à l'homme de condition servile entré au monastère, si ce n'est pour quelque cause raisonnable. Et si l'abbé inspiré par la justice juge qu'il en est ainsi, qu'il agisse sans égard au rang ; sinon que chacun garde sa place, car esclave ou libre, tous nous sommes un dans le Christ et nous portons tous le même fardeau de notre service dans la milice d'un unique Seigneur ; Dieu en effet ne fait point acception des personnes. La seule distinction qu'il fasse à cet égard est pour ceux de nous qu'il trouve humbles et meilleurs que d'autres dans les œuvres du bien. Que sa charité soit donc égale pour tous et unique sa rectitude envers tous, selon leurs mérites.
Dans son enseignement, en effet, l'abbé doit toujours observer cette directive de l'Apôtre : Reprends, exhorte, menace, c'est-à-dire mêler selon les circonstances la sévérité à la douceur, et montrer soit la rigueur d'un maître, soit la bonté d'un père. Aussi l'incitons-nous à reprendre vertement les indisciplinés et les turbulents ; à exhorter les obéissants, les doux et les patients à toujours plus de progrès ; à menacer et châtier les négligents et les arrogants. Des fautifs, il ne dissimulera pas les péchés ; mais, dès qu'ils paraîtront, il les coupera à la racine, autant que faire se peut, se rappelant le péril encouru par le prêtre Héli de Silo. D'une ou deux admonitions, il réprimandera verbalement les esprits droits et compréhensifs ; mais, pour les fourbes, les obstinés, les orgueilleux, les désobéissants, c'est par un châtiment corporel qu'il matera leur vice naissant, sachant qu'il est écrit : "On ne corrige pas le sot par des paroles ; et encore : Frappe de verges ton fils et tu délivreras son âme de la mort".
Chapitre 3: De la convocation des frères au conseil
Toutes les fois qu'il faudra traiter d'affaires importantes au monastère, l'abbé convoquera toute le communauté et dira de quoi il s'agit. Ayant entendu l'avis des frères, il en délibèrera par devers lui et fera ce qu'il jugera le plus utile.
Nous disons que tous doivent être convoqués au conseil, par cette raison que le Seigneur révèle souvent à un plus jeune ce qui est préférable.
Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission, et n'auront pas l'audace de défendre effrontémment leur opinion. La décision dépend plutôt de l'abbé, et tous lui obéiront en ce qu'il aura jugé être le plus avantageux.
Mais de même qu'il convient aux disciples d'obéir au maître, de même il revient au maître de tout régler avec prévoyance et justice.
En toutes choses, par conséquent, tous suivront ce maître qu'est la règle, et nul n'aura la témérité de s'en écarter. Nul, au monastère, ne suivra le désir de son propre coeur. Et nul n'aura le front d'entrer insolemment en contestation avec son abbé, même hors du monastère. Si quelqu'un avait cette audace, qu'on le soumette à la rigueur de la règle. Toutefois, l'abbé lui-même fera toute chose dans la crainte de Dieu et en observant la règle, sachant qu'il devra sans aucun doute rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, le très juste juge. Mais s'il s'agit d'affaires de moindre importance pour le monastère, il lui suffira du conseil des anciens, selon l'Ecriture: "Fais tout avec conseil, et, la chose faite, tu n'auras pas à te repentir".
Chapitre 5: De l'obéissance
Le premier degré de l'humilité est l'obéissance sans délai. Elle convient à ceux qui estiment n'avoir rien de plus cher que le Christ. En raison du service sacré dont ils ont fait profession, ou de la peur de l'enfer, ou de la gloire de la vie éternelle, dès qu'un ordre leur est donné par un supérieur, ils l'exécutent comme s'ils s'agissait d'un ordre de Dieu, sans souffrir le moindre retard.
Le seigneur dit à leur sujet : "Dès qu'il m'a entendu, il m'a obéi". De même il dit à ceux qui enseignent : "Celui qui vous écoute m'écoute". De tels moines, délaissant sur le champ leurs propres affaires et renonçant à leur volonté propre, se libèrent immédiatement, et laissant inachevé ce qu'ils faisaient, ils exécutent effectivement l'ordre donné avec la promptitude de l'obéissance.
Comme en un clin d'œil, avec la rapidité qu'inspire la crainte de Dieu, les deux choses se réalisent quasiment ensemble : l'énoncé de l'ordre par le maître et l'exécution par le disciple. C'est parce qu'un violent désir d'accéder à la vie éternelle les possède qu'ils se pressent dans la voie étroite dont le Seigneur dit : "Etroite est la voie qui conduit à la vie". Ils ne vivent pas selon leur gré, ils n'obéissent pas à leurs désirs ni à leurs plaisirs, mais ils marchent selon la décision et l'ordre d'autrui, et demeurant dans des monastères, ils souhaitent avoir un abbé à leur tête. Sans nul doute, de tels moines imitent le Seigneur formulant cette sentence : "Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé". Cette obéissance sera agréable à Dieu et douce aux hommes si l'ordre donné s'exécute sans agitation, ni lenteur, ni mollesse, sans récrimination ni désaccord exprimé. Car obéir aux supérieurs, c'est obéir à Dieu qui a dit lui-même en effet : "Qui vous écoute m'écoute".
Les disciples doivent obéir de son gré, car Dieu aime celui qui donne avec joie. Si donc le disciple obéit de mauvais gré et s'il récrimine non seulement en paroles, mais même en son cœur, l'ordre fût-il exécuté, cela n'agréera point à Dieu qui voit le cœur récriminer. Une telle façon d'agir ne procure nul avantage, bien au contraire, elle entraîne le châtiment du récriminateur, à moins qu'il ne se corrige et ne fasse réparation.
Chapitre 6: De l'amour du silence
Faisons ce que dit le prophète :J'ai dit : "Je me surveillerai pour ne pas pécher par ma langue. J'ai placé un frein à ma bouche, j'ai été muet, humilié et j'ai tû même de bonnes paroles". Le prophète montre là que, si l'amour du silence oblige parfois à taire même de bonnes paroles, a fortiori le châtiment dû au péché doit tarir les mauvais propos. Par conséquent, en raison de l'importance du silence, on n'accordera que rarement la permission de parler, fût-ce à des disciples parfaits, même pour des propos bons, saints et édifiants. Car il est écrit : "En parlant beaucoup, tu n'éviteras pas le péché" ; et ailleurs : "La mort et la vie sont au pouvoir de la langue".
Car s'il revient au maître de parler et d'instruire, il convient au disciple de se taire et d'écouter. C'est pourquoi, si l'on a quelque chose à demander au supérieur, on le fera en toute humilité et déférente soumission. Quant aux grivoiseries, aux paroles vaines et qui portent à rire, nous les condamnons et les excluons à jamais de tous lieux et nous ne permettons pas au disciple d'ouvrir la bouche pour de tels propos.
Chapitre 8: De l'office divin, la nuit
En période d'hiver, soit du 1er novembre à Pâques, tout bien réfléchi, on se lèvera à la huitième heure de nuit, de sorte qu'on se repose un peu plus de la moitié de la nuit et qu"on se lève dispos.
Le temps quin restera après les Vigiles, les frères qui ont des lacunes touchant le psautier ou les lectures l'emploieront à l'étude.
De Pâques au 1er novembre, l'horaire sera réglé de telle façon que, après un très court intervalle pendant lequel les frères sortiront pour les besoins naturels, la clébration des VIgiles sera immédiatemment suivie des Laudes qui doivent être célébrées au lever du jour.
Chapitre 9: Combien de psaumes dire aux heures de nuit
En cette même période d'hiver, on dira d'abord trois fois le verset: "Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange". On le fera suivre du psaume 3 et du Gloria. Après quoi, le psaume 94 avec antienne ou du moins chanté. Puis suivra l'ambrosien, ensuite six psaumes avec antienne.
Ceux-ci et le verset étant dits, l'abbé donnera la bénédiction, et, tous étant assis sur les bancs, les frères liront à tour de rôle, dans le livre posé sur le lutrin, trois leçons entrecoupées de trois répons chantés. On dira deux répons sans Gloria ; mais, après la troisième leçon, celui qui chante dira le Gloria. Dès que le chantre l'entonera, tous se lèveront de leur siège pour l'honneur et révérence dus à la Sainte Trinité.
Pendant les Vigiles, on lira les livres d'autorité dinvine, tant de l'Ancien que du Nouveau Testament et les commentaires qu'en ont écrit les Pères catholiquies connus pour leur orthodoxie.
Après ces trois leçons avec leur répons, suivront trois autres psaumes qu'on chantera avec Alleluia. A leur suite, on récitera par coeur une leçon de l'Apôtre, le verset, la supplication litanique c'est à dire le Kyrie eleison.
Et Ainsi, s'achèveront les Vigiles, la nuit.
Chapitre 12: Comment célébrer Laudes
Le dimanche à Laudes, on dira d'abord le psaume 66, sans antienne, directement. Aprés quoi, on dira le psaume 50 avec Alleluia. Puis on dira les psaumes 117 et 62. Puis les Bénédictions et les "laudes", une lecture de l'Apocalypse par coeur et le répons, l'ambrosien, le verset, le cantique de l'Evangile, la litanie et la conclusion.
Chapitre 21: Des dizeniers du monastère
Si la communauté est assez nombreue, on y fera l'élection de frères de bon renom et de sainte vie. Ils seront promus dizeniers. Ils prendront soin de leurs décanies en toute chose, suivant les commandements de Dieu et les préceptes de leurs abbés.
Ces dizeniers seront élus tels que l'abbé puisse se reposer sur eux et les associer à ses propres charges.
L'élection se fondera non sur le rang, mais sur le mérite de la vie et la doctrine de sagesse.
Si quelqu'un de ces dizeniers, s'enflant d'orgueil, venait à se montrer répréhensible, on le réprimendera une et deux fois; à la troisième, s'il ne veut pas s'amender, il sera destitué. Un autre, qui en sera digne, sera appelé à prendre sa place.
Nous fixons les mêmes dispositions pour le prieur.
Chapitre 22: Comment dormiront les moines?
Chacun dormira dans un lit individuel.Ils recevront de leur abbé une literie conforme à leur genre de vie.
Tous dormiront, si possible, dans un même local ; mais, si leur grand nombre ne leur permet pas, ils reposeront par dix ou vingt avec les anciens qui s'occuperont d'eux. Une chandelle restera allumée dans ce local jusqu'au matin.
Ils dormiront vêtus et portant à la taille ceinture ou cordon. En dormant, ils n'auront pas leur couteau au côté pour ne pas se blesser pendant le sommeil.
Que les moines soient toujours prêts ; au signal, qu'ils se lèvent sans retard et se hâtent de se devancer les uns les autres pour le service de Dieu, avec sérieux toutefois et modestie.
Les lits des plus jeunes frères ne seront pas placés les uns à côté des autres, mais intercalés entres ceux des anciens.
En se levant pour le service de Dieu, ils s'encourageront doucement pour ôter tout prétexte à ceux qui ont le sommeil profond.
Chapitre 23: De l'exclusion pour fautes
Un frère se montre-t-il entêté, désobéissant, arrogant, contestataire, ou hostile à quelque point de la sainte règle et contempteur des ordres de ses anciens, il sera réprimandé une et deux fois en aparté par ses anciens, selon le commandement du seigneur. S'il ne s'amende pas, il sera blâmé publiquement, devant tous.
Mais si, même après cela, il ne se corrige pas, il sera exclu, pourvu qu'il comprenne la gravité de la peine. S'il en est incapable, il subira un châtiment corporel.
Chapitre 24: Dans quelle mesure exclure de la communauté?
La gravité de la faute doit déterminer la mesure de l'exclusion ou du châtiment.Il appartient à l'abbé de juger de la gravité des fautes.
Le frère qui a commis des fautes légères sera privé de la participation à la table. Voici comment on procèdera avec qui est privé de la communauté de la table. A l'oratoire, il n'imposera ni psaume, ni antienne; il ne récitera pas de leçon, jusqu'à réparation. Il prendra sa nourriture seul, après le repas des frères.
Si par exemple, les frères mangent à la sixième heure, ce frère mangera à la neuvième; et si les frères mangent à la neuvième heure, lui, à lheure des Vêpres, et cela, jusqu'à ce que, ayant convenablement réparé, il soit pardonné.
Chapitre 25: Des fautes graves
Le frère qui se sera rendu coupable d'une faute grave sera exclu simultanément de la table et de l'oratoire. Aucun frère n'aura de contact ni de conversation avec lui. Il sera seul au travail qui lui sera enjoint, demeurant dans le deuil de la pénitence, et pensant à la terrible sentence de l'Apôtre : "Un tel homme est livré à la mort de la chair pour que l'esprit soit sauvé au jour du jugement". De plus, il prendra seul sa nourriture, dont l'abbé fixera la mesure et l'horaire convenables ;
Nul ne le bénira en passant, ni la nourriture qui lui sera donnée.
Chapitre 26: De ceux qui, sans ordre, se joignent aux exclus
Un frère qui, sans ordre de l'abbé, prendrait la liberté d'avoir d'une manière ou d'une autre, contact avec un exclu, de lier conversation avec lui, ou de lui transmettre un message, subira la même peine de l'exclusion.
Chapitre 27: Quelle sollicitude l'abbé doit témoigner aux exclus
L'abbé prendra le plus grand soin des frères fautifs, "car ce ne sont pas les bien-portants qui ont beson du médecin, mais les malades". Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin expérimenté; envoyé des senpectes, c'est à dire des anciens expérimentés qui, discrètement, réconforteront le frère hésitant et l'encourageront à se reprendre en toute humilité. Ils le réconforteront pour qu'il ne sombre pas dans un excès de tristesse, mais, comme dit encore l'Apôtre: "que la charité en lui soit affermie"; et que tous prient pour lui.
L'abbé doit en effet metttre un soin extrême et faire diligence, avec sagacité et savoir-faire, pour ne perdre aucune des brbis qui lui sont confiées. Qu'il le sache, il a reçu la charge d'âmes malades et non un pouvoir tyrannique sur des âmes saines.
Qu'il redoute la menace de Dieu exprimée par son Prophète: "Vous preniez ce qui vous paraissait gras, et dédaignez ce qui était débile". Il imitera la tendresse exemplaire du bon Pasteur qui, laissant sur la montagne ses 99 brebis, va chercher la seule qui se soit écartée.
Il a tant de compassion pour son infirmité, qu'il daigne la mettre sur ses épaules divines et la ramener ainsi au troupeau.
Chapitre 28: De ceux qui, souvent repris, ne veulent pas se corriger
Si un frère, souvent repris et même exclus pour une faute quelconque, ne se corrige pas, on lui appliquera une correction plus dure en procédant contre lui par le châtiment des verges.
Si même de cette manière, il ne se corrige pas, ou si - par malheur-, bouffi d'orgueil, il prétend justifier ses actes, alors l'abbé fera ce que fait un médecin expérimenté.
Après avoir administré les calmants, le baume des exhortations, le remède des divines Ecritures et, à l'extrême, le cautère de l'exclusion, ou des coups de fouet, s'il voit que tout son savoir-faire ne sert à rien, qu'il emploie un moyen plus efficace: sa prière et celle de tous les frères pour ce moine, afin que le Seigneur qui peut tout opère le salut de ce frère malade.
S'il n'est pas guéri par ce myen-là non plus, alors l'abbé usera du fer de l'amputation, comme dit l'Apôtre: "Otez le mal du milieu de vous", et encore: "Si l'infidèle se sépare, qu'il s'en aille"; pour qu'une seule brbis infectée ne contamine pas tout le troupeau.
Chapitre 29: Si les frères sortis du monastère doivent y être admis de nouveau
Si un frère sorti du monastère par sa propre faute veut y revenir, il promettra d'abord de se corriger totalement de la faute pour laquelle il était sorti.Alors on le recevra au dernier rang pour tester ainsi son humilité.
S'il sort de nouveau, on le recevra de la même manière jusqu'à trois fois. Au-delà qu'il sache que tout espoir de retour lui sera refusé.
Chapitre 30: Comment corriger les jeunes enfants
Chacun doit être traité selon son âge et son jugement. Les enfants, les adolescents même, ou ceux qui ne peuvent pas comprendre la gravité d'une exclusion, seront donc, en cas de faute, soumis à des jeûnes strcits ou rudement châtiés du fouet, pour qu'ils se corrigent.Chapitre 32: Des outils et objets du monastère
L'abbé remettra aux frères dont la vie et les mœurs lui inspirent confiance les biens du monastère : outils, vêtements et autres objets. Il leur en confiera la garde et le soin au fur et à mesure qu'il le jugera utile. L'abbé en tiendra un inventaire pour savoir ce qu'il donne et ce qu'il reçoit, quand les frères se relaient dans la charge des objets qui leurs sont assignés. Si quelqu'un traite les choses du monastère de façon malpropre ou négligente, il sera réprimandé ;
S'il ne se corrige pas, il subira la rigueur de la règle.
Chapitre 33: Les moines doivent-ils avoir quelque chose en propre?
C'est surtout ce vice-là qu'il faut radicalement extirper du monastère.
Nul ne prendra la liberté de donner ou de recevoir quelque chose sans ordre de l'abbé, ni d'avoir iren en propre, absolument rien, ni livre, ni cahiers, ni crayon, absolument rien.
D'autant qu'il ne lui est même pas permis de disposer à son gré de son corps ni de ses désirs. Mais il faut attendre du père du monastère tout le nécessaire et ne se permettre d'avoir rien que l'abbé n'ait donné ou autorisé.
Tout sera commun à tous, comme dit l'Ecriture, afin que nul ne dise ou prétende qu'une chose est à lui. S'il est reconnu que quelqu'un se complaît dans ce vice détestable, on le réprimendera une et deux fois; s'il ne se corrige pas, il subire un châtiment.
Chapitre 36: Des frères malades
Le soin des malades doit tout primer. On les servira vriament comme le Christ, qui a dit: "j'ai été malade et vous m'avez visité", et "ce que vous avez fait à l'un de ses petits, c'est à moi que vous l'avez fait".
Quant aux malades, ils considèreront qu'on les sert pour l'honneur de Dieu et n'attristeront pas par d'abusives exigences les frères qui les servent.
Ceux-ci devront pourtant les supporter avec patience, car c'est auprès de tels malades qu'on obtient un plus grand salaire. L'abbé prendra donc le plus grand soin qu'ils ne souffrent d'aucune.
Aux frères malades, on réservera une cellule à part et on leur affectear un serviteur, craignant Dieu, diligent et soigneux.
L'usage des bains sera offert aux malades toutes les fois qu'il sera expédient; mais, aux frères bien-portants et surtout aux jeunes, on le concédera plus rarement.
On permettra aussi de manger de la viande aux malades très affaiblis pour qu'ils reprennent des forces; mais dès qu'ils iront mieux, tous s'abstiendront de viande, comme d'habitude.
L'abbé prendra très grand soins que ni le ceelérier ni les serviteurs ne négligent; toute faute de ses disciples le met en cause personnellement.
Chapitre 37: Des vieillards et des enfants
Bien que l'homme soit naturellement enclin à l'indulgence envers les vieillards et les enfants en raison de leur âge, l'autorité de la règle doit aussi avoir pour eux des égards.
On prendra toujours en considération leur faiblesse et, pour la nourriture, on ne leur appliquera pas toute la rigueur de la règle.
On leur témoignera égards et bonté, et ils devanceront les heures prescrites.
Chapitre 38: Du lecteur de la semaine
La lecture ne doit pas manquer à la table des frères. Ce n'est pas au premier venu d'y faire la lecture, mais celui qui doit lire toute la semaine prendra son service le dimanche.
Celui qui doit prendre son service demandera à tous, après l'office de la communion, de prier pour lui, pour que Dieu éloigne de lui l'esprit d'orgueil.
Tous diront trois fois dans l'oratoire ce verset qu'il commencera lui-même: "Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louange". Ainsi, ayant reçu la bénédiction, il prendra son service de lecture.
Le silence sera total; qu'on entende ni murmure ni voix, sinon celle du lecteur. Que les frères se passent les uns les autres le nécessaire pour manger et boire, de telle manière que nul n'ait besoin de demander quoi que ce soit. Si c'était indispensable, qu'on le fasse par quelque signe perceptible plutôt que par la parole.
Que nul n'ait le front de poser des questions à ce moment-là sur la lecture ou sur quelqu'autre sujet, pour ne donner aucun prétexte; à moins que le supérieur ne veuille dire un mot d'édification.
Le frère lecteur de semaine prendra un en-cas avant de commencer la lecture, à cause de la sainte communion, et pour que le jeûne ne lui soit pas trop pénible, il prendra son repas avec les semainiers de cuisine et les servants.
Les frères ne liront ni ne chanteront à tour de rôle, mais seulement ceux qui édifient leurs auditeurs.
Chapitre 39: De la mesure dans la nourriture
Pour le repas quotidien, qu'il soit à sexte ou bien à none, nous estimons qu'il suffit de deux plats cuits par table, à cause des infirmités diverses. De sorte que celui qui n'aura pu manger de l'un se restaure avec l'autre. Que deux plats cuits suffisent donc à tous les frères, et, s'il y en a plus de fruits ou des légumes verts, on ajoutera un troisième plat. Une livre de pain bien pesée suffira chaque jour, qu'il y ait un seul repas, déjeuner et dîner. S'ils doivent prendre le repas du soir, le cellérier réservera un tiers de cette livre et le rendra au dîner. Si le travail a été plus pénible, il appartiendra à l'abbé de juger s'il convient d'ajouter quelque chose, évitant surtout l'excès, car jamais le moine ne doit se laisser surprendre par l'indigestion. Rien n'est aussi contraire à tout chrétien que l'excès. Comme le dit notre Seigneur : "Prenez garde que l'excès n'accable votre cœur". Pour les enfants en bas âge, on ne servira pas la même quantité, mais moins que pour les plus grands, en tout cas avec économie. Tous s'abstiendront absolument de manger de la viande de quadrupède, sauf les malades très affaiblis.
Chapitre 40: De la mesure dans la boisson
Chacun tient de Dieu un don qui lui est propre, l'un celui-ci, l'autre celui-là. Aussi ce n'est pas sans scrupule que nous fixons la mesure de l'alimentation pour autrui. Toutefois, considérant les limites des faibles, nous pensons qu'une hémine (0,273 litre) de vin tous les jours suffira à chacun. Ceux à qui Dieu donnerait la force de s'en abstenir doivent savoir qu'ils en recevront un salaire particulier. Le supérieur est habilité à juger si les conditions de lieu, le travail, l'ardeur de l'été exigent davantage. En tous cas, il veillera à ce qu'on ne glisse pas jusqu'à la satiété ou à l'ivresse. Nous lisons que le vin ne convient aucunement aux moines.
Pourtant, puisque, de nos jours, on ne peut en persuader les moines, convenons du moins de n'en pas boire jusqu'à la satiété, mais modérément, car le vin fait apostasier même les sages. Lorsque les conditions de lieu sont telles qu'on ne peut trouver la mesure sus-dite, mais beaucoup moins, voire rien du tout, les habitants d'un tel lieu béniront Dieu, loin de récriminer. Nous les exhortons à s'abstenir de récriminations.
Chapitre 44: Comment les exclus feront réparations
A l'heure où se célèbre le service de Dieu dans l'oratoire, celui qui, pour des fautes graves, a été exclu de l'oratoire et de la table, se tiendra prosterné devant la porte de l'oratoire sans rien dire, la tête au sol, allongé aux pieds de tous ceux qui sortent de l'oratoire. Il fera cela jusqu'à ce que l'abbé juge qu'il a fait réparation suffisante. Lorsque l'abbé l'aura fait venir, qu'il se jette aux pieds de l'abbé, puis de tous, afin qu'ils prient pour lui. Alors si l'abbé l'ordonne, il sera reçu au chœur et au rang que l'abbé aura décidé. Il n'aura pas le front d'entonner ni psaume ni leçon, ni quoi que ce soit dans l'oratoire sans nouvelle permission de l'abbé. A toutes les heures, quand s'achèvera le service de Dieu, il se prosternera à terre à sa place. Ainsi il fera réparation, jusqu'à ce que de nouveau l'abbé l'autorise à cesser cette réparation. Ceux qui, pour des fautes légères, sont exclus seulement de la table feront réparation à l'oratoire tant que l'abbé l'ordonnera.
Ils feront cela jusqu'à ce que l'abbé les bénisse et dise : " Cela suffit ".
Chapitre 57: Des artisans du monastère
S'il y a des artisans au monastère, ils exerceront leur métier en toute humilité, si l'abbé le permet. Si l'un d'eux s'enorgueillit de son habileté dans son métier, sous prétexte qu'il apporte quelque chose au monastère, il sera relevé de ce métier et ne s'en mêlera plus, à moins que, revenu à l'humilité, il n'en reçoive à nouveau l'ordre de l'abbé. S'il faut vendre quelques produits de cet artisanat, ceux par les mains de qui ces produits devront passer veilleront à ne commettre aucune fraude. Ils se souviendront toujours d'Ananie et de Saphire, et redouteront de subir dans leur âme, eux et tous ceux qui trafiqueraient des biens du monastère, le châtiment que ceux-là ont enduré dans leur corps. Que le mal de l'avarice ne s'insinue pas à l'occasion des prix. On cèdera toujours à un prix plus bas que les séculiers, afin qu'en toutes choses Dieu soit glorifié.
Chapitre 66: Des portiers du monastère
A la porte du monastère, on placera un homme d'âge mûr, expérimenté, qui sache recevoir et fournir un renseignement, et dont la maturité le garde de courir ça et là. Ce portier aura sa cellule près de la porte, pour que les arrivants trouvent toujours présent quelqu'un qui les renseigne. Dès que quelqu'un aura frappé, ou qu'un pauvre aura appelé, il répondra " Deo gratias " ou " Benedicite ", et, avec toute la sérénité que donne la crainte de Dieu, il s'empressera de répondre dans la ferveur de la charité. S'il en a besoin, le portier recevra l'aide d'un frère plus jeune. S'il est possible, le monastère sera construit de telle façon que tout le nécessaire, à savoir l'eau, le moulin, le jardin, soit à l'intérieur du monastère et que s'y exercent les différents métiers, pour que les moines ne soient pas forcés de se répandre à l'extérieur, ce qui ne convient nullement à leur âme.
Nous voulons que cette règle soit lue fréquemment en communauté pour qu'aucun frère ne prétexte son ignorance.
Chapitre 69: Que nul au monastère n'ose prendre la défense d'autrui
On veillera à ce que, au monastère, un moine n'ait en aucun cas le front d'en défendre ou d'en soutenir en quelque sorte un autre, fût-il son parent, à quelque degré que ce soit. Un moine ne se le permettra en aucune façon, car ce peut-être une occasion de troubles graves. Toute transgression sera sévèrement punie.
Chapitre 73: Que la pratique de la justice n'est pas toute codifiée dans cette règle
Nous avons écrit cette règle pour qu'en l'observant dans les monastères nous fassions preuve d'une certaine honnêteté de mœurs et d'un commencement de réforme de vie. Mais, pour qui se hâte vers la perfection de cette réforme, il y a les enseignements des Pères dont la mise en pratique conduit l'homme au sommet de la perfection.
Quelle page en effet, quelle parole d'autorité divine dans l'Ancien et le Nouveau Testament n'est pas une parfaite norme de vie pour l'homme ?
Ou quel livre des Saints Pères catholiques ne parle pas clairement de ce par quoi nous parviendrons tout droit à notre créateur ?
Les Conférences des Pères, leurs Institutions et leurs Vies, et la Règle de notre Père Saint Basile, que sont-elles sinon des outils de vertus pour des moines obéissants et de sainte vie ?
Tandis que pour nous, paresseux, de mauvaise vie et négligents, il y a de quoi rougir de honte. Qui que tu sois donc qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l'aide du Christ, cette petite règle pour débutants, alors, sous la garde de Dieu, tu parviendras à ces plus hauts sommets de doctrine et de vertu dont avons parlé ci-dessus.
Amen.